© PSV J. Morel - M.Froment
Juste avant les derniers tours de piste de Philippe Rozier
Pilier de l’équipe de France depuis plus de quarante ans, champion olympique par équipe à Rio en 2016, Philippe Rozier a choisi de se retirer du très haut niveau. Et c’est sur le Longines Equita Lyon, Concours Hippique International, que le cavalier de la Laiterie de Montaigu a décidé de faire ses derniers tours de piste. Nous l’avons rencontré.
Pour quelles raisons avez-vous décidé d’arrêter les CSI 5* ?
PHILIPPE ROZIER : Vous savez, j'ai 62 ans et je veux terminer ma carrière à haut niveau sur une bonne note, sans faire l’année de trop. J'ai de bons chevaux, tout se passe bien : la semaine dernière encore, je remportais la League du Longines Global Champions Tour de Rabat. Mais je reconnais que mentalement, c’est parfois difficile : je suis en concours tous les week-ends depuis 45 ans ce qui signifie tout donner pour rester dans le coup pendant 45 ans. Je sais que je suis un chanceux : j’ai fait ce que j'aimais, ce qui est un luxe. Mais à un moment, je pense qu'il faut sortir par la grande porte. Tous les grands sportifs, les Nadal, les Federer, arrêtent quand ils sont au top, pas lorsqu’ils se prennent des râclées par des petits jeunes de 25 ou de 30 ans. J’ai pris la décision seul, après avoir longuement réfléchi. Je me suis levé pour ça tous les jours depuis que j'ai 20 ans. Avant, même, puisqu’à 20 ans, je participais déjà aux Jeux olympiques ! C’est alors émouvant… Et bien sûr, cette dernière participation au Longines Equita Lyon sera particulière… Il faudra que j’arrive à gérer… (Il est ému…)
Vous redoutez de vous laisser submerger par l’émotion ?
P. R. : Oui. Très clairement ! J’ai toujours fonctionné à l'émotion, c’est mon adrénaline à moi. Ce que j’ai aimé pendant ces 45 ans, c'est passer une ligne d'arrivée et voir les gens se lever. Le contact avec le public des CSI 5* va me manquer. Sur les gros concours en France, comme c’est le cas sur le Longines Equita Lyon, l’émotion est intense : quand tu rentres en piste, tu prends en pleine figure cet effet « waouh » ! Nous avons en France les plus beaux CSI 5*.
Alors questions toute naïve : qu’avez-vous prévu de faire la semaine prochaine ?
P. R. : Rien ! Je vais passer un week-end tranquille. Ca ne m’était pas arrivé depuis très longtemps. J’ai deux filles et je n’ai pas réussi à passer quelques jours de vacances avec elles depuis une éternité… A Noël, j’étais régulièrement sur la Coupe du monde Longines FEI de Malines, puis quelques jours après, déjà à Bâle. C’est la vie que j’ai choisie, que tous les cavaliers de haut niveau ont choisie. Mais pour la famille, c’est compliqué. Je ne me plains pas, je sais que je suis un privilégié : j’ai eu de bons chevaux toutes ma vie, des partenaires, des propriétaires qui m’ont suivi dans mes rêves. Mais je vais désormais ralentir.
Ralentir… Cela signifie qu’on vous retrouvera sur de plus petits labels que les seuls CSI 5* ?
P. R. : Effectivement. Je ne me sens pas capable de tout arrêter du jour au lendemain. Ce serait trop déprimant d’arrêter net ce que j’ai fait pendant 45 ans, tous les jours. Lorsque je l’ai annoncé à mon propriétaire Christian Baillet et à mon père Marcel, ce n’était pas le moment le plus agréable de ma vie, mais tous les deux ont compris et n’ont pas essayé de m’en dissuader : ils savaient que je ne ferais pas marche arrière. Ils me connaissent par cœur et savent que généralement, je prends le temps de bien réfléchir.
Votre expérience, vous souhaitez désormais en faire profiter d’autres cavaliers ?
P. R. : Totalement ! J’ai entraîné l’équipe du Maroc pendant quatre ans, j’entraîne celle de Monaco depuis cinq ans, j’ai toujours fait du coaching privé : j’adore ça. La transmission est dans les gènes de la famille : les Rozier et les Parrot sont des transmetteurs. Je vois quelques fois des jeunes qui se trouvent un peu seuls, parfois paumés, mais ils doivent savoir qu’ils peuvent compter sur moi, que je suis là, que je ne serai jamais avare de conseils et de coups de main. J’ai envie qu’ils retiennent de ma carrière que j’ai toujours essayé d’être le meilleur homme de cheval possible. Être un homme de cheval, ce n'est pas qu’une formule toute faite : c’est un engagement de chaque instant.
Si vous ne deviez garder qu’un seul souvenir de votre carrière, lequel serait-ce ?
P. R. : C’est difficile (il réfléchit). Je dirais quand même la médaille par équipe à Rio : j'ai couru après cet objectif pendant 40 ans ! J’ai participé à cinq Jeux olympiques et j’ai rêvé d’une médaille toute ma vie ! Comme un gosse… Comme tous les gosses qui rêvent de ce titre bien plus que de n’importe quel autre.